Proposition de loi contre les déserts médicaux : « Cessons d’accabler les médecins !»

Par Jean-René Binet et Frédéric Paing

Publié le 15/02/2023 à 18:28 , mis à jour le 15/02/2023 à 19:47

En désespoir de cause, une commune des Côtes-d’Armor a posé un panneau au bord de la route pour trouver un médecin. MAXPPP/MAXPPP

FIGAROVOX/TRIBUNE – Frédéric Paing, médecin généraliste et Jean-René Binet, maire LR de Hauteville-sur-Mer, s’opposent au projet de loi contre les déserts médicaux. En plus de ne résoudre en rien le problème d’accès aux soins, ce texte désigne les médecins comme coupables, déplorent-ils.

Le Dr Frédéric Paing est médecin généraliste et membre actif du collectif «Santé en danger».

Jean-René Binet est professeur de droit, et maire LR de Hauteville-sur-Mer.


Une proposition de loi « contre les déserts médicaux» a été enregistrée à la présidence de l’Assemblée nationale le 17 janvier 2023. Une telle initiative peut sembler aller dans le bon sens tant il est difficile de contester les difficultés d’accès aux soins de nos concitoyens : chacun l’a vécu personnellement ou dans son entourage. C’est le constat que font les élus locaux, alertés par leurs administrés légitimement inquiets pour leur santé. Certains parlementaires, dans la précipitation proposent alors des solutions qui n’ont pas toujours l’évidence qui leur est prêtée. C’est le cas de cette proposition, dont le contenu n’est malheureusement pas de nature à régler le problème et qui s’inscrit en outre dans un contexte particulièrement accablant pour les médecins. Ce manque de clairvoyance est d’autant plus dommageable que des solutions efficaces à court terme existent.

La proposition de loi pèche d’abord par un défaut de vision. Son idée structurante peut en effet être ainsi résumée : pour permettre des installations de médecins dans des zones sous-denses, il suffit d’augmenter la contrainte ou l’incitation à s’y établir. Une telle idée pourrait peut-être fonctionner s’il existait des territoires sur-denses depuis lesquels le système organiserait alors une redirection pour équilibrer le tout. Cependant, même si les densités varient d’un territoire à l’autre, permettant d’affirmer un rapport de 1 à 3 de densité médicale entre les Hautes-Alpes et l’Eure – départements aux géographies singulièrement différentes – la réalité est surtout que 87% du territoire français est sous-doté en médecins généralistes. Outre l’importance de la proportion de territoires sous-denses, cela ne signifie pas malheureusement que les 13% restants seraient surdotés : le ratio entre zones « surdotées» et déserts médicaux n’est en effet que de 1,7. La réalité est que la pénurie est omniprésente : Fréjus, Orléans, la Seine-Saint-Denis, la Manche, le Médoc et tant d’autres territoires sont en quête de médecins généralistes. Il faut donc avoir à l’esprit que seuls 9 à 13% des diplômés d’une promotion (selon les différents chiffres) s’installent en libéral en médecine générale et qu’une mesure contraignante frappant une modalité d’exercice n’a jamais été un facteur d’attractivité. Ainsi, les mesures envisagées conduiront de nombreux diplômés à fuir la médecine libérale là où il faudrait au contraire les encourager à embrasser ce mode d’exercice.

Si le travail avec les IPA apparaît souhaitable et nécessaire, il ne peut se concevoir qu’en complément de l’action du médecin généraliste.

Jean-René Binet et Frédéric Paing

La proposition de loi pèche ensuite par un excès d’incantations. Elle évoque ainsi le rétablissement de la permanence des soins alors que celle-ci n’a jamais cessé d’exister puisqu’elle couvre actuellement 95% du territoire. Elle salue la suppression du numerus clausus comme une avancée majeure. Or, s’il s’agit à l’évidence d’une bonne idée, elle a été grevée (volontairement ?) d’un numerus apertus qui restreint encore beaucoup trop l’accès aux études médicales dont il découlera un nombre insuffisant de médecins formés à l’horizon 2030 annoncé à tort comme une période d’éclaircie ; on ne retrouvera qu’en 2037 un nombre de médecins comparable à 2010 (qui n’était déjà pas flamboyant) tandis que, pendant ce temps, la population aura beaucoup augmenté ou vieilli. Elle prône enfin l’accès direct des patients aux Infirmiers de Pratique Avancée (IPA) comme une bonne solution pour alléger les médecins généralistes de certaines tâches médicales. Cependant, si le travail avec les IPA apparaît souhaitable et nécessaire, il ne peut se concevoir qu’en complément de l’action du médecin généraliste dans le cadre d’une délégation de tâches impliquant que la responsabilité incombe toujours in fine au médecin. Or, l’esprit de la proposition de loi, reprenant l’idée de la proposition de loi «Rist», est, d’une part, de permettre un accès direct à l’IPA, c’est-à-dire sans adressage préalable du médecin traitant.

D’autre part, elle consacrerait au profit de l’IPA la compétence de la primo-prescription. On ne peut qu’être inquiet que cette compétence, qui n’est acquise dans le cursus de médecine, qu’après une longue formation de physiopathologie et de pharmacologie, à partir de la septième année et sous la responsabilité d’un médecin senior, serait accordée aux IPA après un diplôme d’infirmier diplômé d’État (IDE) doublé d’une formation courte et notamment très pauvre en pharmacologie. Il ne s’agirait donc pas d’une délégation de tâches mais bien d’un transfert de compétences dont la responsabilité incombe en outre pour partie au médecin traitant au simple motif que l’IPA aurait rempli le dossier médical partagé du patient ! Outre l’épineux problème de responsabilité soulevé, on ajoutera que les compétences des IPA ne sont actuellement pas validées. En effet, la loi n° 2021-1754 du 23 décembre 2021 de financement de la Sécurité Sociale prévoyait pour les IPA, à titre expérimental, pour une durée de 3 ans, dans 3 régions, la possibilité de certaines prescriptions dont il était prévu une évaluation en vue d’une éventuelle généralisation. Nous ne sommes pas au terme des 3 ans et la proposition de loi s’affranchit donc de cette expérimentation, sans égard pour la sécurité des patients.

Pire, ils en ont fait émerger un autre, inattendu : l’écœurement, jusqu’à la nausée, de médecins débordés, donnant déjà sans compter.

Jean-René Binet et Frédéric Paing

Outre son contenu, la proposition de loi s’inscrit dans un contexte particulièrement éprouvant pour les médecins généralistes : l’accumulation des recours au 49-3 pour le PLFSS à l’automne, la proposition de loi Rist en cours de navette parlementaire, les propositions du Président Macron lors de ses vœux à la Santé le 6 janvier 2023 (relayées par Thomas Fatôme, directeur de la CNAM) sous la forme d’un Contrat d’engagement territorial (véritable carcan rétablissant un médecin généraliste taillable et corvéable à merci). Ni ces éléments, ni cette nouvelle proposition de loi ne résolvent le problème d’accès aux soins de nos concitoyens.

Pire, ils en ont fait émerger un autre, inattendu : l’écœurement, jusqu’à la nausée, de médecins débordés, donnant déjà sans compter, désignés comme coupables et punis (sous forme de mesures très contraignantes sinon coercitives) par les représentants politiques actuels de l’impéritie des prédécesseurs de ces derniers. Ainsi, depuis quelques semaines, se renforce chaque jour la volonté d’une proportion de plus en plus importante de médecins généralistes de fuir la médecine libérale : les internes envisagent une autre spécialité, nombre de remplaçants déclarent renoncer à leurs éventuels projets d’installation, les plus anciens anticipent leur départ à la retraite tandis que les autres sont nombreux à organiser leurs reconversions. En effet, les postes salariés vacants pullulent et ces annonces punitives, coercitives, menaçantes sont contraires à ce qu’il faudrait faire. Dénigrer, accuser, culpabiliser ceux qui tiennent à bout de bras (depuis 20 ou 30 ans pour certains, au prix de nombreux sacrifices personnels que tout un chacun considérerait désormais comme scandaleux pour lui-même) le système de santé de ville alimente les ferments de l’aggravation de la catastrophe sanitaire. En effet, la Santé tient sur deux jambes : l’hôpital qui est en état d’ischémie aiguë et la ville que l’on s’acharne à vouloir amputer. Immanquablement, la santé va donc finir en culotte courte !

Malgré la situation très dégradée, il convient de ne pas céder à la panique et d’envisager des solutions réalistes, de court terme, de très court terme même puisque nous sommes déjà dans le mur. Voici quelques pistes fondées sur le constat, accepté par tous, que les médecins ne sont pas assez nombreux et ne le seront pas avant 10 voire, plus vraisemblablement, 15 ans, sans aucune certitude absolue.

Il importe aussi de valoriser le travail effectué par les médecins généralistes actuels, en revalorisant le tarif de la consultation.

Jean-René Binet et Frédéric Paing

D’abord, alors que l’on s’échine à alléger les médecins de tâches médicales (transfert de compétences aux IPA sans délégation), réunions multiples, animation d’une équipe médicale traitante dans le cadre de SISA (sociétés interprofessionnelles de soins ambulatoires) ou de CPTS (communautés professionnelles de territoires de santé), ceux-ci réclament d’être soulagés de tâches administratives. Une mesure déjà initiée va dans ce sens : le dispositif des assistants médicaux promu par la CNAM et que le président Emmanuel Macron appelle à renforcer. Cependant, avant d’aller plus loin dans cette voie, il faut dès à présent, en concertation avec les médecins, lister le travail administratif inutile et le supprimer purement et simplement. En outre, il semble impératif de développer l’aide financière pour ces emplois (qui impliquent de payer salaires, charges, location d’un bureau que l’on doit en outre équiper, et du temps de secrétariat supplémentaire car cette embauche a aussi vocation à augmenter la patientèle des médecins) ; il faut enfin avoir l’honnêteté d’expliquer aux patients que le temps de « colloque singulier » avec son médecin sera réduit.

Par ailleurs, il importe aussi de valoriser le travail effectué par les médecins généralistes actuels, en revalorisant le tarif de la consultation, pour relancer l’attractivité et l’envie de s’installer plutôt que d’allonger la liste des contraintes répulsives. Pour mémoire, environ 40.000 généralistes ne sont pas installés, ce qui constitue un vivier considérable pour résorber, vraiment, les situations de sous-densité.

Enfin, il faut également valoriser le travail colossal réel, existant, actuel, qui fonctionne, du couple médecin généraliste-infirmière libérale, sans le grever d’organisations administratives (SISA, CPTS ou autres comités Théodule) : cela passe par une rémunération du temps informel passé quotidiennement à résoudre les problématiques de patients complexes et cela passe aussi par une revalorisation de l’acte infirmier.

https://www.lefigaro.fr/vox/societe/proposition-de-loi-contre-les-deserts-medicaux-cessons-d-accabler-les-medecins-20230215